Vientos del Sur

Vents d'humanités à l'IMA avec Diana Regaño

Vientos del Sur a été présenté pour la première fois les 22 et 23 février 2014 à l'Institut du Monde Arabe à Paris. Sous la direction artistique de Diana Regaño, danseuse madrilène installée en France depuis 1998, le spectacle est un voyage fluide et élégant de la danse moderne au baile flamenco traditionnel, de la tragédie de la mort à l'allégresse de danser. Entourée de Cristo Cortes et Alberto Garcia au cante, de Daniel Manzanas à la guitare et d'Edouard Coquard "El Edu" aux percussions, Diana a révélé un tempérament à la fois tourmenté, espiègle, dont on retient l'élégance et la sincérité.

Dans un bref entretien, Diana Regaño nous confie spontanément que cette nouvelle création est l'expression de sa propre personnalité, de ce qu'elle "est" en tant que danseuse. Pour ce travail, que l'on sent dense, elle est allée puiser dans ses émotions et son parcours artistique personnel. Fidèle à l'image suggérée dans son titre, "Vientos del Sur" évoque les allées et venues d'une danse à l'autre, la découverte de nouveaux langages et leurs fusion. Pour écrire certaines parties de la scénographie et des chorégraphies, elle a également entrepris un important travail de recherches iconographiques sur la guerre. On songe aux gravures de Goya, qui ont été parmi les sources d'inspiration principales des moments dramatiques où la guerre est évoquée.

Le spectacle débute sur une bande sonore où on entend souffler les vents sur une musique orientale et méditative. Diana Regaño arrive drapée dans un tissu rouge, qui lui sert de costume et d'accessoire, dont elle se débarrasse au fur et à mesure de la chorégraphie, comme d'une seconde peau, pour entrer dans le flamenco. Commence un premier duo danse/percussions, avec Edouard Coquard "El Edu", connu pour passer allègrement du jazz, des musiques du monde au flamenco. Puis, pendant qu'elle se prépare dans un petit camerino posé au bord des coulisses, les deux cantaors font leur entrée sur scène avec des fandangos.

Entre alegrias chantées par Cristo Cortes et Alberto Garcia et seguiriya de Daniel Manzanas, au coeur du spectacle, surgit l'évocation de la guerre, symbole du drame de la condition humaine. Non loin de la danse et de la création artistique, de l'épanouissement de l'être au contact des arts (et de la beauté de la musique flamenca), la mort et la guerre rôdent. Une citation de l'écrivain portugais José Saramago (Prix Nobel de littérature en 1998) sur la marche absurde de l'Humanité vers la destruction, vient appuyer le propos. A cet endroit, Diana Regaño précise qu'elle ne parle pas uniquement de la guerre civile espagnole, mais de toutes les guerres, passées et actuelles.

Pour évoquer la fragilité de l'être humain face à la machine de guerre, elle use de deux tablaos disposés de part et d'autre de la scène principale, et construit deux tableaux qui vont de la danse (expression de la liberté de l'être) à l'oppression et la destruction finale, symbolisées par la couleur rouge. Dans le premier tableau, elle danse le passage de la liberté et la création à la déshumanisation infligée par la machine de guerre (gestuelle robotisée et hypnotisée) au travers d'un duo danse et rythmique avec le percussionniste. Dans le second, elle finit à genoux (dans l'impossibilité de continuer à danser), recouverte d'un linceul rouge sang et baigné dans une lumière non moins sanguinaire où la danse et les percussions renvoient crescendo aux sons de mitraillettes et des trains, que le Cante flamenco d'Alberto Garcia et Cristo Cortes intensifie. La solea qui suit, sobrement et finement interprétée, nous ramène au flamenco le plus pur et condense, intensifie la tragédie.

La musique arabe, la bande sonore du vent et la danse nous plantent dans le désert et dans l'héritage arabo-andalou du flamenco, des racines déjà métissées. Plus tard, la zambra et les tangos nous emmènent à Grenade et à l'Alhambra du Prince Boadbil.

La direction artistique compte beaucoup dans la réussite du spectacle et enveloppe avec chaleur et force la solitude de la danseuse sur l'immense plateau de l'auditorium. Diana a su tirer parti de l'espace en balisant des espaces symboliques aux extrémités de la scène pour y interpréter les tableaux plus dramaturgiques et théâtraux et laisser la place principale à la danse seule.

Le spectacle s'achève por tangos, à la fin desquels la protagoniste enlève dans un certain soulagement ses chaussures, pour revenir à l'essence du sol et de la terre et pour profiter du moment de la fête por bulerias.

Vientos del sur réussit le pari de raconter des émotions intimes et des préoccupations humanistes dans un bel équilibre entre le baile flamenco et la danse contemporaine.

Diana Regaño, qui a su très bien s'entourer, livre dans ce beau spectacle, son parcours personnel, où la danse pourrait conjurer le drame de la guerre et la mort, et domine avec élégance et brio la grande scène de l'Institut du Monde Arabe.

photos ©Murielle Timsit

Nathalie Garcia Ramos, le 23/02/2014

Equipe artistique:: Baile - Diana Regaño
:: Cante - Alberto Garcia et Cristo Cortes
:: Guitare - Daniel Manzanas
:: Percussions - Edouard Coquard

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